Frédéric ROBERT
Le manteau forestier du Bois de Boulogne à l'orée de Paris, l'illustre champ de courses de
Longchamp avec ses élégances historiques, la roseraie intrigante de Bagatelle, la charmante
ouverture du Pavillon, le mobilier en bois rares, les escaliers princiers, la terrasse ombragée
de délicieux parasols, le doux jardin, la salle à manger en ogive, la claire baie vitrée dix-neuvième
et les sobres salons qui la ceignent, tout affecte et tout trouble pour qui ignore les ors et lambris,
les luxes et conquêtes des demeures cossues. L'arrivée annonce presque une partance, une excursion
romantique insensée à deux foulées de la capitale. Le temps remonte jusqu'à Napoléon III où les
fantasmes du relais de chasse abondent en refuges aristocratiques. Paré en restaurant à l'occasion
de l'exposition universelle de 1900, le
Pavillon de la Grande Cascade symbolise toujours un établissement
de prestige, habitués à accueillir des personnalités d'exception. (…)
Parigot de la rue Lepic, Frédéric ROBERT quitte, dans sa prime année, sa butte pour suivre un père paysagiste happé par les Parcs et Jardins. Il passe son enfance à Etrépagny non loin de Gisors. A 12 ans, à Rouen, la fainéantise avale sa troisième. « Incapable d'école, viré partout ». A 16 ans, le tutélaire interroge le fiston qui s'imagine bien électromécanicien ou dessinateur industriel. Mieux, par l'entremise de son protecteur, il rencontre le directeur de la réputée Ecole Hôtelière de Rouen. Coup de tonnerre : Frédéric ROBERT « ne veux surtout pas opter pour la cuisine mais la salle ». (…) En 1978, alors qu'il opte pour les deux formations en parallèle, lors du premier cours de cuisine, la brunoise éclaire soudain l'existence. (…)
Conscient qu'un chef au cœur de son temps propose une autre dimension, le reflet d'une société, Frédéric ROBERT ouvre le champ « 100% saison », essaie de penser la gastronomie dans le moindre génie du détail, la minuscule étincelle. (…) Ouvert à toutes les stylistiques, le thon nippon le fascine. Dans son Paris qu'il aime, « le premier marché du monde », en éveil, il court après les idées, dans les ruelles étroites, dans un magazine, en conversant avec sa mie. (…)
Frédéric ROBERT voyage dans les campagnes, il puise sa source d'inspiration sur les marchés du monde pour les couleurs, les calibres, la dynamique des formes. (…)
Au merveilleux Pavillon, avant chaque service, Frédéric ROBERT tient ses soixante personnes, retient son souffle. Il honore des « vivants génies comme Gagnaire et Passard » avec « une cuisine classique dans l'air du temps », espérant qu'un jour, des visiteurs citent ses créations telles le « Canard Apicius de Senderens » ou « le homard à la vanille ». (…) Inquiet de l'évolution des ressources naturelles, notre rouennais montmartrois avoue que « cuisiner à ce niveau est un luxe ». (…)
« Pendant trois heures, il faut en foutre plein les carreaux ». (…)
Il exige « le coup de génie » ou « le grain de folie ». La création, gymnastique acquise chez Senderens, engage un puzzle à tiroirs. (…) La fréquentation de très belles maisons lui a appris le sens progressif des responsabilités, la pondération, le gouvernement des hommes. Aujourd'hui, à la quarantaine panache, flamboyante, il ne se veut plus « chef de chef » mais prend son envol, seul maître à bord, en pleine lumière. (…) Il ne déroute à tout prix mais cherche l'harmonie des consonances pour produire d'inoubliables instants. Une simplicité subtile et logique : un grand produit de base bien articulé avec intelligence, finesse, adoubé par un sens esthétique certain. Les grands traditionnels se revisitent avec audace par des cuissons à la vapeur moelleuse, des infusions rehaussées d'épices. L'hommage magistral au passé prend la forme de chocs adéquatement orchestrés entre des niveaux de texture ou des frontalités ductiles entre les goûts d'ailleurs et le goût français. Poésie structurée, douceur enlevée, tendresse hantée par une présence royale :
« Fleurs de courgette ivres de girolles. Couteaux en coque, citron et gingembre rose ».